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Grenouille

Froggies

http://www.cap-horn.be/divers_froggies.php | 29-03-2024 10:56 | © 1999- N. Grigorellis

La véritable histoire des froggies"

Si vous demandez à votre voisin, qui a voyagé, pourquoi les Anglais appellent les Français Frogs, "grenouilles", et, par diminutif, Froggies, "grenouillettes", il vous répondra que c'est parce que nous mangeons les cuisses de ces batraciens des étangs. Cette délicate entrée pour "menu gastronomique" des auberges touristiques soulève le coeur des Britanniques. Autant déguster du serpent !

Cette raison officielle, largement répandue dans l'opinion en France et en Grande-Bretagne, constitue cependant un bel exemple de "remotivation", car l'origine du sobriquet est en réalité beaucoup plus complexe. Il existait jadis à Paris, sur la rive gauche de la Seine, un peu en amont du pont du Gros-Caillou - toujours nommé de la sorte -, un emplacement sur la berge qui s'appelait "La Grenouillère", à l'endroit même où l'on construisit plus tard la gare d'Orsay, aujourd'hui musée prestigieux. Pourquoi ce nom ? Oh ! simplement parce que l'on nommait ainsi en français des bords humides et fangeux où coassaient des grenouilles !

La Grenouillère - ou plus précisément La Guernouillère pour les autochnones du bord de l'eau - fut donc un petit hameau "périphérique", en face des Tuileries, qui devint réputé au XVIIIe siècle pour la qualité de ses lavandières et blanchisseuses "en gros et en menu". On y parlait un langage patoisant, de bas niveau certes, jugé comique par les gens du beau monde. Le "langage de la Grenouillère" devint un symbole de la naïveté bon enfant et de la liberté de ton du petit peuple parisien.

Ce parler mis en vedette au cours de années 1750 par L.-J. Vadé avec les célèbres Lettres de la Grenouillère, fit l'objet par la suite de nombreuses imitations. En particulier, ce "patois parisien" servit beaucoup au moment de la Révolution de 89, où certains pamphlets de source aristocratique l'utilisèrent comme arme didactique pour faire pièce au grossier Pierre Duschesne d'Hébert. Toujours est-il qu'en 1790-1791, non seulement les indigènes de La Grenouillère mais encore, par assimilation, l'ensemble du peuple de Paris étaient appelés "les grenouilles" par la noblesse proche de la cour...Sans doute y eut-il dans cette généralisation l'influence, parmi l'aristocratie lettrée, de la pièce d'Aristophane dont l'action se passe mythologiquement sur les bords d'un autre fleuve fameux, le Styx ! Bref, à la cour de Versailles, en 1791, l'opinion des Parisiens, l'humeur qui régnait chez les activistes de la capitale faisaient l'objet de cette question courante : "Qu'en disent les grenouilles ?"...

La-dessus les plus réalistes des ci-devant privilégiés s'enfuirent à l'étranger. Face à la fureur humaine, le pessimisme absolu est de rigueur, on l'a vérifié plusieurs fois au XXe siècle, et le film de Rohmer Le Duc et l'Anglaise illustrait récemment les nécessités de la fuite ! Les plus clairvoyants, donc, parmi les nobles, aboutirent à Londres, où la communauté des émigrés répandit dans l'aristocratie anglaise la mauvaise presse des..."grenouilles" ! Ces grenouilles ravageuses qui continuaient à se faire plus grosses que le boeuf, et bientôt plus carnassières que les loups, éclairant à merveille l'immortelle pensée de Plaute Homo homini lupus.

C'était naturellement pain bénit pour la gentry anglaise ! Le milieu des lords et des ladies adopta avec ravissement le sobriquet méprisant. On fut trop heureux à Londres d'appeler Frogs cette population de Paris qui répandait la consternation chez tous les peuples d'Europe...

Le temps passe, comme d'habitude. La Révolution s'oublia outre-Manche, mais le ricanement demeura. Plus tard les fricassées de cuisses de grenouilles vinrent donner une motivation nouvelle aux frogs guillotineurs. Par un effet naturel de tache d'huile, l'appellation engloba tous les Français sans distinction. Le mot fournissait aux Britanniques un motif supplémentaire de répugnance pour notre nation, et alimentait la moquerie à l'égard d'un peuple, le nôtre, qui fut si longtemps leur pire ennemi.

La morale de la chanson est qu'on n'est jamais si bien nommé que par soi-même.


Remarque : ce texte a été reçu par mail et publié sans l'autorisation de C laude D uneton qui n'a pu être contacté mais qui reste bien entendu seul propriétaire de ce texte paru dans le Figaro littéraire du Jeudi 15 novembre 2001.